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Nouvelles_Chamaniques

23 juin 2007

résilience

C'est souvent aux plus beaux jours que l'on perd les êtres chers .
Ce sont les esseulés qui meurent dans la froidure .
Les êtres rayonnants s'éteignent en pleine lumière .
Et ce matin là , la clairière est belle . Trop belle .
La brume est dorée des premiers rayons du jour ;
Même les corneilles sont joyeuses et leur cri est appel à l'action .
Tout rit , tout est bruissement léger , prometteur , éveil .     '
Le clan peu à peu sort du sommeil , et les poney courent dans l'enclos .

... Fifre lointain . Gaieté d'une musique de Blancs . Tambourins joyeux .

Le guetteurs effarés accourent . Il est trop tard . Le roulement de la troupe de cavaliers approche , approche , grossit .

Les mères s'agitent en tous sens .
Les guerriers sont debouts , plantés dans leur perplexité inutile .
Le bonheur est pétrifié .
On gesticule en vain , inapte à décider , perdu .
Le bonheur s'affole . La quiétude agonise . Le massacre approche , inexorable .

Plus tard dans la journée , les " tuniques bleues " sont partis .
Et le camp fume . Squelettes des tipis . Au sol  les morts désoeuvrés appellent en vain ce beau matin qui s'est enfui .  La tribu est là , rassemblée une dernière fois , torpeur muette et froide , d'où émane la question du pourquoi . La tribu jonche le sol , en taches éparses , sans témoin pour pleurer .

Les arbres , qui ont vécu heureux près des être humains , les arbres restent pour veiller les défunts .

Le chaman est assis en haut du grand rocher qui ressemble à un chien . Il est assis jambes croisées et enrage , d'avoir perdu ses pouvoirs , et les siens êtres chers . II écoute le vent , regarde la lumière et au fil des heures , et des trois jours qui suivent , il voit défiler les âmes qui s'en vont vers les collines rouges . Salue chacune d'entre elles .

Près de la rivière , un enfant sort des roseaux et s'éloigne , dur , noble , Sûr de son destin . Il s'appelle Cochise .



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22 juin 2007

Le doute

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Le chaman est assis en haut du grand rocher qui ressemble à un chien . Il est assis jambes croisées , regarde à l'horizon , les collines rouges . Des guerriers qui passent à l'écart font silence et le respectent . Savent qu'il ne faut pas troubler celui qui pense ; celui qui s'adresse aux dieux , pour eux .

Le chaman est assis et enrage . Il écoute le vent . II regarde la lumière . Le chaman est assis et enrage . Car ce jour , il ne croît plus au Pouvoir . Il n'y a jamais crû d'ailleurs . Il n'a jamais eu de preuve . Mais parfois , quand il écoute le vent , regarde la lumière , parfois aussi le soir , quand il perce l'obscurité , au fil des heures , quand il lui semble que son souffle épouse la plaine , alors il voit venir les dieux vers lui ; il voit venir la grande connaissance ; il sait tout ; tout ce qui ne peut être dit ; il rencontre la force de l'immuable et se marie avec elle .

Le chaman est assis et enrage . Rien aujourd'hui n'arrive . Que penserait le clan si la chose se savait ! Et les dieux doivent bien rire , cachés dans les enganes , ou les ruisseaux qui chantent . Heureusement qu'il y a les herbes magiques , et les rites , et les fêtes . Car les dieux , eux , ne sont pas toujours ponctuels .

Le chaman est assis et enrage .

Des guerriers qui passent à l'écart font silence et le respectent .



22 juin 2007

Pour être un arbre

Les montagnes barrent l'horizon , cri de neige qui écorche l'azur hivernal .
Elles sont loin , là bas , joie inaccessible , à l'attrait menaçant .

Aroun , fils d'Aroun , s'est assis sur un tertre . Depuis longtemps déjà , l'idée s'insinuait en lui de venir là planter son énergie . îl veut s'ennivrer de son vide intérieur . Son projet est bien simple : s'installer là et rester immobile , trois jours , trois nuits ; ressentir l'alternance ; voir venir à lui l'espace , le bleu du ciel , le froid ; se laisser engourdir et tâcher , comme les montagnes , de ne penser à rien , tout en gardant sa puissance intacte . Il veut savoir le silence . Il veut sentir le sol protéger ses racines . Il veut être bercé tendrement par le vent des Rocheuses .

Au matin du troisième jour , sur le tertre , un nouvel arbre est né , darde vers le ciel qu'il implore ses membres décharnés , embrasse tout l'espace comme avide du printemps prochain .

Aroun fils d'Aroun a réussi .



22 juin 2007

Alchimie



Estewan est parti sur la plaque rocheuse qui domine le torrent . Il aime aller là , seul , entendre le rugissement des eaux qui d'écho en écho semble fuir au pays des morts . Estewan a trouvé un beau caillou , magnifique de lumière . Il l'a ramassé , et puis il l'a admiré . Il le ramènera tout à l'heure au village et le montrera à sa soeur ; elle appréciera sûrement les aspérités dorées , les surfaces mates , bleues d'outre nuit , les stries argentées qui luisent au soleil . Mais Estewan gardera son caillou ; non , il ne l'offrira pas . Car il l'aime déjà ; c'est son bien , son futur ami .

Vient la nuit . Estewan est rentré voici longtemps déjà ; il a fait admirer sa trouvaille tout l'après-midi , aux siens, à ses proches , aux guerriers qu'il a croisés . Tous , dans leur sollicitude , ont poussé des oh et des ah .

Estewan aime son caillou .

Vient le noir de la nuit . Il est temps de dormir . Estewan est couché avec son bel ami . Il le tient contre son coeur .

Estewan aime son caillou .

Et il songe :

" Qu'il est beau , mon joyau . Que je suis heureux de le posséder . ô combien je l'aime .
Posséder ? Est ce ainsi que l'on aime ? Est-il à moi ou suis-je à lui ? Non , il n'est pas mien . Je dois l'aimer pour ce qu'il est . Hors de moi . Je l'observe , et il m'aime . Je suis à lui . ô mon beau caillou .Emporte moi avec toi , au pays des belles pierres "

Au matin , sur la peau d'ours où dormait Estewan , contre le caillou d'Estewan ,
on n'a trouvé qu'un beau diamant , de la plus belle eau .

Et personne n'a jamais revu Estewan .





22 juin 2007

Souvenir du Bardo

Aroun est mort . Il marche sur la grande plaine de sel . Les rochers n'en finissent plus de s'écrouler . Sur le bord de la piste , un cadavre de sorcière lui montre l'horizon de son doigt desséché . Il faut marcher ,  marcher toujours . Aroun est mort , déchiqueté par les loups . Et son esprit marche . Quatre étoiles le guident . Il faut les rejoindre . Aroun sait qu'il doit les rejoindre . Ces quatre étoiles seront à lui s'il sait joindre ces points à l'infini ; sinon il appartiendra pour toujours à l'errance esseulée . Avance , esprit , troue donc la tunique bleue de la nuit . Avance . Les rochers croulent alentour mais ne t'atteindront pas . Broie l'ouate immense de ta foulée impalpable . Avance , esprit . De ton souffle mort , tu peux imbiber l'univers . Les poumons te brûlent tant ta course est rapide ; loin là-bas , les vivants doivent connaître la tempête . Avance Aroun . Te voici bientôt au terme . Si de ta course volontaire tu parviens à broyer l'ombre .

Pawuchka qui vient de perdre Aroun , Pawuchka qui se refusait trop souvent à
Aroun , Pawuchka vient de sentir dans ses entrailles une présence nouvelle .
Pawuchka appellera son enfant Aroun . Elle l'élèvera seule . Elle sera toute
à lui .



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22 juin 2007

L'aveux

Le vieux est assis en tailleur . 1l ne doit pas se mêler de l'histoire , car ce sont les femmes qui élèvent et conseillent les filles . Il balance cependant son corps d'avant en arrière , au même rythme qu'une branche de pin dans le vent , lorsque l'arbre veut dire à l'air qu'il est d'accord avec son chant . Et ainsi , sa squaw sait qu'elle peut continuer à parler . Car si elle est maîtresse de certains choix , cela ne veut pas dire qu'elle doive rester sourde à certains avis , surtout ceux qui ne sont pas formulés .

Aoualpaca explique donc à sa fille :

" Te voici grande aujourd'hui , petite fleur ; tu as trop courru les bois . Trois fois déjà il t'a fallu prendre l'herbe qui tue le ventre . Te voici grande aujourd'hui , petite fleur . Demain commence la fête du grand accouplement . Il te faudra ramener un époux ; pour toi-même , et pour nous , pour notre estime , notre honneur . Nous nous faisons déjà vieux . Un homme jeune allégera notre peine ; Par sa force , il saura nous conduire . Par sa chasse , il saura nous nourrir , nous , et les enfants qui viendront plus tard . Va donc à la fête , et reviens nous avec autre chose qu'un souvenir . Va ma fille "

Petite fleur est bien triste . Elle n'a pas besoin d"un guerrier au delà d'une Lune . Le plaisir de la rencontre lui suffit ; le frisson du début . Elle ne veut pas s'enchaîner tout le jour , condamnée à mâcher les cuirs à s'en déchausser les dents , condamnée à piler le grain , à s'en démolir le dos . Elle voit bien sa tante Pawuchka , encore jeune et déjà vieille , et Gorka qui était si belle et semble toujours triste , et toutes les autres ,
prisonnières du tipi , coincées entre la rivière et la clairière . Petite fleur a dit non dans sa tête ; Elle ira à la grande fête ; y trouvera un beau guerrier qu'elle conduira au plaisir ; avec lui , elle connaîtra le monde des yeux  clos , lorsqu'elle se voit puma noire , accouplée à un ours grognant de force et de douceur . Elle trouvera un beau jeune homme , le conduira au plaisir , puis elle le laissera homme libre , libre de courir , libre comme elle de faire l'amour avec les arbres , libre de s'éloigner des collines rouges et de la clairière du clan , libre de jouir de l'eau et de l'air , sans avoir à partager le temps et la vie . Elle trouvera un jeune guerrier , le conduira au plaisir , puis ils se quitteront .

Les lunes , les saisons , les années passent . Petite fleur est toujours sans époux . Les hommes la regardent moins souvent ... mais bien assez . Un jour que le regard d'Aoualpaca songeuse l'interroge , Petite fleur explique la chance qu'elle a eue de ne pas prendre époux ; Seule , elle a connu mille aventures ; mille hommes l'ont courtisée ; ils lui ont donné la joie ; elle leur a laissé leur force . Et surtout , comme aucune autre femme du clan , elle a pu , seule , à l'aube , partir en haut des collines rouges pour voir vibrer l'horizon . Elle a pu , seule , au soir , partir sur le chemin du soleil ocre . Elle a pu même tout un jour entier marcher sur le grand désert salé , sans souci pour sa vie , sans peur de la mort , pour le seul plaisir d'aimer l'inconsistant .

Aoualpaca pense à sa propre vie et après tant d'années dit enfin :

" Tu as raison ma fille "

22 juin 2007

L'acceptation

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C'est ce soir que Kélélé doit épouser Gorka . Il a offert trois poneys au père , six peaux d'ours à la mère , mais il sait qu'il offrira tout à Gorka . Comme le veut la coutume , il se rend chez le chaman qui doit le peindre pour la cérémonie , et lui tracer sa voie .

Voici donc les mots qu'il entend :

" II existe une déesse qui donne aux êtres humains la pluie , le soleil , le froid , la neige et la chaleur . Nous l'adorons tous , nous l'adorerons toujours ; nous adorerons ses caprices , ses dons et ses colères . Nul ne sait quel vent apporte l'orage ; nul ne sait quelle brise nettoie le ciel , pour faire de la clairière un arc joyeux de lumière . Nul ne sait . La question est trop vaste . Adorons la déesse ; rendons lui grâce aux plus beaux jours , et courbons la tête , dociles à la tempête . Que le froid nous incite au repos , que la douceur du printemps nous incite à l'amour . La déesse du temps est là qui veille ; elle seule connaît le rythme qui convient aux  herbes , aux arbres , aux bêtes , aux sables rouges , aux collines et aux êtres humains . Soyons toujours humbles face à son amour , et ne l'accusons jamais d'avoir glacé nos os : nous n'avions  qu'à  nous couvrir ! "

Et le soir Kélélé prend Gorka en songeant aux nuages et au soleil .
Il épouse la tempête et fait l'amour avec l'été . Gorka est heureuse .

Mais ce n'est que bien des années plus tard que Kélélé comprendra les mots
du Chaman .


22 juin 2007

J'ai même vu des poissons parler

Oxocelaïa , les pieds dans l'eau froide jusqu'aux genoux , contemple les galets ronds qui semblent rire au soleil . Courbé ,en avant , il contemple , attendant patiemment le prochain poisson . Il a déjà attrapé trois belles carpes , l'une pour sa mère , l autre pour sa squaw , et l'autre pour lui-même . Le compte est bon .
Loin du bord , les trois prises bondissent encore parfois , en soubressauts de désespoir , bientôt d'agonie .

Voici que sous la surface chantante approche un long muscle argenté , force née des eaux , faite pour fendre les eaux .Oxocelaïa guette l'instant propice où le poisson passera exactement à portée idéale . Voilà . La main plonge ,  précise et rapide , créant une gerbe joyeuse qui illumine Oxocelaïa .

Combat ? La main est ferme , comme les serres d'un rapace , autour du corps
du poisson . Ce dernier se débat ; il sait dominer l'eau , et dans sa
liberté restreinte parvient encore à aspirer le bras vers le fond .

Mais la main reste ferme , remonte lentement vers la surface ,puis brandit sa prise
comme pour l'offrir au ciel et à l'air asphixiant .
L'homme commet  l'erreur de fixer l'oeil rond qui semble alors lui
parler , tandis que le corps du poisson s'abandonne au calme , soumission
provisoire au sort inéluctable . Que dit l'habitant libre de eaux "? Quel est
son reproche muet ?

Ce soir la famille se nourrira de baies et de racines . Car Oxocelaïa a
relâché ses prises , un peu honteux de devoir tuer pour vivre .


22 juin 2007

Empreinte

Kélélé et Gorka , l'aube venue , s'éloignent de ce lieu de magie ; eux qui ne sont pas sorciers , ni même initiés , ils ont frôlé la connaissance de la vraie vie . Ils s'éloignent vers la vallée où glisse un large ruisseau . Tout le jour , ils font l'amour dans l'eau . Kélélé s'étonne de voir sa virilité résister à la fraîcheur de l'onde et aux assauts répétés . Le soleil les ennivre jusqu'au soir nouveau où l'on sent les esprits s'emparer du lieu et chasser la gloire du jour . Un rocher en arc enjambe la rivière . Son gris devient ocre , puis noir et menaçant . Pour la nuit , les deux amours neufs choisissent de s'installer sur les galets encore chauds , près d'un grand feuillu , malgré le nid de frelons qui bruisse tout là haut . Les deux corps se joignent , les bassins s'unissent et se pressent , mais le membre joyeux refuse obstinément de vivre , de pénétrer Gorka , de distiller sa douceur et sa force . Les rochers alentour , sous les rayons froids de l'astre bleu , semblent encercler le couple et lui interdire les chemins lumineux .
On sent en ces lieux comme un malheur passé .
Voici l'aube . Kélélé , Gorka , dans la nuit , ont quitté l'endroit , et tout de suite ils ont retrouvé leurs éclats .

Le jeune guerrier sait . Il sait qu'il devra revenir seul , seul pour découvrir quel inconnu est mort ici , seul pour l'aider à poursuivre sa route . Il résistera plusieurs saisons à l'appel , mais il faudra qu'il obéisse à la plainte , qu'il retourne en ce lieu qui de jour est de joie et de nuit devient horreur , qu'il retourne en ce lieu , pour lui donner sa lumière et sa force , toute sa lumière et toute sa force , dusse-t-il en mourir .

22 juin 2007

Enfantement posthume

C'est la fête du grand accouplement , qui dure huit jours après la pleine Lune du mois des graminées sauvages . Pendant ces huit jours de liesse , les jeunes du clan ont le droit de courir les bois la nuit , deux par deux bien entendu , au grand bonheur des anciens qui voient ainsi mûrir l'avenir , et naître la joie de fêtes futures , auxquelles il seront mêlés cette fois .

Kélélé a remarqué Gorka , la ronde et jeune Squaw dont le nom signifie nourriture . Sa taille et ses hanches sont lourdes ; sa poitrine semble pourtant ferme et musclée . Plus tard , elle méritera son nom , certes . Kélélé a donc porté son attention sur elle , d'autant plus aisément que le regard noir de la jeune femme semblait l'envelopper , lui , depuis plusieurs lunes déjà , d'une tendresse douce et attentive qu'il n'avait jamais ressentie auparavant . Ils ont donc parlé un moment et puis s'en sont allés vers le bois . Ils ont choisi un talus en lisière , d'où il soit possible de suivre la course de la lune et des étoiles . Et là ils ont fait l'amour longuement , patiemment , découvrant ce dialogue des corps qu'ils ignoraient à ce jour . La voûte céleste a tourné . Ils sont rassasiés , et laissent courir leurs pensées , corps et âmes enlacés .

Kélélé qui regarde le ciel pense au passé et commence à se confier :

" De telles nuits , si lumineuses , me rappelleront toujours mon père , qui est parti voici quatre ans , à la pleine lune  " .

Kélélé tremble contre Gorka , et sent les larmes sourdre de ses yeux devenus douloureux , pour noyer ensuite son visage . Un jeune guerrier a-t-il le droit de pleurer ? Ce soir , oui : Kélélé a compris avec qui il est , et sait bien que Honte Stupide n'a pas cours auprès d'une âme si pure . Il confit sa tête à Gorka qui la tient serrée contre sa poitrine . II semble au jeune homme qu'un miel plus sucré qu'aucun autre pénètre sous son scalp , et l'envahit de toute la douceur des Dieux favorables . Gorka explique que les anciens , qu'ils soient homme ou femme , déclarent souvent qu'il n'est pas bon de retenir ses larmes . Elle exhorte Kélélé à se laisser aller , à écouter son père qui pleure par ses yeux : Peut être celui-ci attend il une faveur . Lors voici que Kélélé le jeune guerrier sûr de sa force , de l'assise de ses jambes solides , de sa vision du monde , claire et droite , voici donc que le jeune homme sent en lui bouillonner tous les mystères de la steppe , tous les secrets des collines rouges ,  celles qui barrent l'avenir au loin . Il sent dans son souffle un morceau de son père qui gémit , demandant le pardon avant de pouvoir fuir . Kélélé se souvient des remontrances injustes , des pouvoirs inouïs dont son père usait , et pour la première fois , il aime ces instants , ces souffrances d'enfant , il aime son père en tout , pour ce qu'il fut son père , et non pour ce qu'il fit . Et sa bouche accouche , étape par étape , souffle d'air par souffle d'air , de ce reste du père qui se fraye un chemin , du coeur de Kélélé vers l'espace immense où il devra se réconforter , se gorger d'énergie , avant de poursuivre sa tâche , avant de pouvoir aller revivre ailleurs .

Kélélé accouche et pleure , mais désormais la pleine lune sera pour lui éveil de joie .

22 juin 2007

hyperborée

Aroun cherchait vainement le sommeil , allongé entre ses deux squaws , qui elles , dormaient profondément . A sa gauche , Maja , celle qui rêve même le jour . A sa droite , Pawuchka la ronde , qui depuis quatre années lui avait chaque printemps donné un fils vivant . Dehors , il faisait froid , et le bruit feutré de la neige tombante semblait vouloir bercer la rondeur prometteuse de Pawuchka . Aroun était maintenu loin du sommeil par son corps encore jeune , tendu , par le besoin de mouvement qui le tenaillait depuis des heures . Parfois , il essayait d'enlacer l'une de ses deux compagnes ; pour un temps , la douceur chaude et tendre appuyée contre son ventre lui redonnait calme et apaisement . Mais un coude pointu , ou bien la rotation fuyante du corps embrassé lui expliquaient sans bruit qu'il serait seul ce soir , sous le tipi , si près de ses femmes , et à une longueur de flèche de l'enchevêtrement des papooses . Abandonné par le bonheur des nuits anciennes , il écarquilla les yeux pour percer le noir de l'espace , cherchant un peu de lumière au creux du puits nocturne . Abandonné par l'espoir , il se rendit compte qu'il n'avait plus su , ces derniers jours , voir le bleu du ciel comme avant , ni humer l'air comme il savait le faire sans y penser , au temps où ses deux squaws se relayaient sans cesse pour apaiser son orgueil et sa force . Scrutant la nuit , fixant le noir , il perçut quatre étoiles , points brillants mystérieux ; comment était-ce possible , dans la maison de peau épaisse , opaque même au plus dur soleil ?
II sut alors que ces étoiles étaient pour lui reflets des âmes qu'il aimerait dans sa prochaine vie .

Le lendemain , Aroun prépara son poney , tôt le matin , et partit vers le Nord , vers un froid plus intense , où il pourrait oublier la tribu , ses squaws , ses fils et les plaines de son enfance .

Au grand bonheur des loups , après trois jours de route , il rencontra sa nouvelle vie .



22 juin 2007

Aoualpacou

Les épines d'acacia font d'excellentes pointes de flèches .
On les trempe dans le sang de bison mêlé à l'urine de chien , pour les durcir , puis on les repolit avec du sable fin .

Aoualpacou était occupé à sa tâche depuis l'aube . Maintenant , le soleil et la fraîcheur dansaient sur sa peau , et il riait dans sa tête en observant ce combat sans vainqueur . Du coin de l'oeil , il voyait l'eau du torrent qui fumait rêveusement . Il avait salué au lever du jour le Chaman quittant son tipi  pour aller cueillir des herbes dans les collines . Aoualpacou avait devant lui trois rangées d'épines préparées là depuis déjà trois jours , et il s'activait au polissage des éléments de la dernière rangée .
Absorbé par son travail , il n'entendit pas tout de suite la plainte étrange . Puis il crut un instant que le vent matinal soupirait comme il le fait souvent , lorsqu’il  dévoile une âme à ceux  qui savent l'entendre . Comme la plainte durait , son instinct de guerrier lui fit tendre l'oreille , et alors il comprit qu'une présence insolite habitait le logis du Chaman .
Aoualpacou se redressa , dénouant dans la douleur mais en silence ses articulations si longtemps oubliées sous l'emprise du labeur . A pas de loup , il se dirigea vers l'entrée , et souleva la vieille peau tannée qui faisait office de porte . Peut être un ourson ?

Non . Il découvrit là une vieille femme édentée , dont les yeux  fatigués brillaient encore de mille feux , plus vifs que ceux  de la plus tendre des jeunesses . Il se passa alors ce qu'il n'eût jamais cru possible : son sexe s'éveilla , en feu , répandant dans ses reins et son souffle la rougeur fauve et vibrante du plus ardent des désirs . Pour une vieille ! Il n'était plus temps de penser , de juger : c'était l'appel le plus imperieux  qu'il eût jamais connu . Cependant , comme il savait le faire depuis l'époque où papoose il avait rencontré les premières épines de l'amour , il ravala son élan , et entra souriant , détendu en apparence , seulement en apparence . C'est alors qu'il entendit prononcer ces mots étranges :

" Je suis la Mort . N'aie pa peur ; Je ne viens pas pour te prendre . Pas encore du moins . Je ne suis pas ici pour te conduire vers les plaines sauvages , autrefois parcourues par tes parents , et sur lesquelles tu devras bien un jour partir en errance esseulée , à la recherche de ta prochaine vie . Non , je ne suis pas là pour ça : Je veux seulement te montrer que la beauté n'est pas toujours là où on veut la voir . "

Aoualpacou prit la Mort ; tous deux soupirèrent longtemps de plaisir . Et l'accouplement dura tout le jour . Au soir , le Chaman ne fit que saluer distraitement , avant d'entreprendre de ranger sa récolte . Et l'accouplement dura encore la nuit , puis les trois jours et les trois nuits suivantes . Aoualpacou , au fil des heures , découvrit son corps , son coeur , sa vie ; des muscles qu'il ignorait s'étaient mis à chanter ; des frissons mystérieux , inconnus à ce jour , lui révélèrent son âme . Lorsque la sève fut épuisée , lorsque le gland trop frotté devint douloureux , des heures encore ils se serrèrent l'un contre l'autre , s'offrant maintes fois encore des orgasmes immobiles et prolongés .

Lors , la Mort dit :

" Vois comme je suis laide ; vois comme tu m'as vue belle ;
vois comme tu m'as aimée , moi la peur des pleutres et la terreur des plus courageux .
Lorsque je t'appellerai , tu pourras ainsi venir à moi sans crainte . "

Plus tard , Aoualpacou prit femme et vécut heureux .

22 juin 2007

Le verbe du vent

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Je suis le rêve qui marche , la projection de l'esprit , l'univers issu de tes pensées . ô toi , petit enfant , tu crées toi même le monde , tu le modèles , tu le façonnes , par chacun de tes souhaits , par chacune de tes peurs, même les plus fulgurantes , même les plus fugaces , les plus inaperçues . ô toi , petit enfant , méfie toi de ton être ; tu dois le gouverner , ne pas le laisser choisir la plainte ; car c'est en lui que tu vis ; quand bien même elle est belle , quand bien même elle t'assure que tu es , tu dois fuir la tristesse , pour ne pas vivre en elle . Si le ciel est beau , c'est toi qui l'a créé ainsi .   Si l'eau est joyeuse , c'est toi qui la vois ainsi . Si tes amis sont doux , c'est toi qui les as attendris . ô toi , petit enfant , ta tâche est de penser juste ; n'écarte jamais ton pas du bonheur . Quand l'horreur frémit , goûtes-en la saveur , exprime sa substance , tu dois en tirer la meilleure leçon . Quand l'horreur s'évanouit , quand la beauté de l'heure resplendit , laisse toi emporter ... vigilant .

Coyotito est allongé à l'ombre d'un cactus ; il écoute le verbe du vent , et admire la goutte de sang qui perle , au bout de son doigt , là où l'épine l'a blessé .

 Coyotito écoute et comprend le verbe du vent . C'est un enfant précoce .

22 juin 2007

Page de garde

Nouvelles chamaniques


Toute ressemblance avec l'imaginaire n'est jamais que fortuite .


Les dessins sont de Marie-Luce Collet

Auteur : Ana Sailland

CV de Ana Sailland : http://www.anadesavoie.canalblog.com/

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